Bingo, le juif

Vous le croyez ou pas mais Bingo le juif ne voulait pas parler mal aux allemands.

Bingo c’est mon pote. On avait fait Treblinka ensemble.

Il ne voulait pas mal leur parler, je vous dis, et c’est pas qu’il avait peur. Je vais vous expliquer.

Lui il avait une théorie, c’était peut être sa nature aussi, c’est que l’homme est par nature bon; je ne dis pas le contraire; mais ce n’est pas n’importe qui, c’est nous deux qui en parlons, c’est nous deux, qui avons vécu ça. Et nous deux, nous en avions vu des choses.

T’en as vu du bon, toi? je lui disais. Ils t’on traité comme un déchet; ils t’ont battu, ils t’ont torturé, ils ont tué ta race.

Parce que lui, Bingo, il pense que le monde pourrait être meilleur, tu vois. Je crois que c’est ça dans sa tête. Mais tu as bien vu ce qu’ils t’ont fait les allemands, je lui dis.

Eh, disait Bingo, tu vois, en fait… et suivait alors toute une théologie. Parce que Bingo était prof d’histoire, tu vois. C’est comme ça qu’on s’est connu, c’était à Berlin, 1926, je crois, une conf à l’hôtel Adlon à Pariser Platz, sur les croisades et sur les cathédrales et tout ça. Vous allez crever de rire mais Bingo aimait les allemands. Je crois qu’il se prenait pour un allemand, même. Un peu con vous me direz et ce n’est pas faux. Bingo était un allemand, je crois bien, oui. Mais ça c’était avant.

C’était avant que les allemands ne s’en aperçoivent qu’il était en fait juif.

Juif, oui. Juif, quoi. Juif comme toi et moi. C’est ça qu’il était mon Bingo mais il ne me parlait que de Barberousse, du Saint Empire et de la cathédrale de Köln et des croisades dans la Terre Sainte. C’est comme ça qu’on c’est connu, vous allez me dire que c’est con, peut être oui, je dis pas le contraire mais moi je l’aimais bien.

Et après tout ça il ne voulait toujours pas leur parler mal.

Ils étaient vaincus, Berlin c’était maintenant des ruines, les allemands rasaient les murs morts de faim, les yeux cernés, les têtes baissées.

On marchait dans la rue, c’était un beau jour et le trottoir était ensoleillé et il me pointait du doigt les gens: ce n’est pas lui qui m’a tiré dessus, il me dit. C’est pas l’autre qui m’a mis la tête dans la chiotte, non plus. C’est pas l’autre encore là-bas qui m’a battu et laissé par terre. Tu veux quoi, tu veux que je soupçonne tout le monde? Faut laisser aux gens une chance, mon gars. Faut voir le bon côté des choses.

C’était ça mon Bingo.

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